lundi 3 août 2015

A propos du livre de Sorj Chalandon, Profession du père

On ne lâche pas 320 pages de Chalandon. On ressent cet Emile, le fils a l'enfance bousculée ("tu me dégoûtes, avait vomi mon père, un jour de mauvaises notes") . Frappé, puni, Emile s'invente une vie avec les bribes de délires de son père. Il va tuer De Gaulle, il va faire partie de l'OAS, il a un parrain américain, il a sa mère effacée (épluche les carottes et prépare la soupe du soir). Comment se construire dans un monde de violence verbale et physique. Le roman est haletant, le style incisif, la phrase courte, les événements s'enchainent, s'entrecroisent et tissent un texte superbe. Dans cette famille, le sentiment n'existe pas (la vieille en parlant de sa femme, conneau en parlant de son fils, connards en parlant des journalistes, imbéciles en parlant des politiques, tarés en parlant des gens). Le père est omniprésent au long de ces pages, le fils raconte ce qu'il voit et ce qu'il endure. Mais au fait, quelle est la profession du père ? Il admire Salan, Jouhaud, Zeller, il se dit compagnon de De Gaulle puis ennemi juré du grand homme. Il va délirer jusqu'à sa mort dans une brume de vengeance "clouée" dans son dos ! Il n'aura peur de rien sauf du canon du pistolet qu'un jour Emile lui plante devant le nez. Ce père laissera un testament sur une bande magnétique, à écouter après sa mort. Sa femme a-t-elle écouté ? Oui, mais en croyant rembobiner la cassette : "ma mère, rescapée sans colère, sans aigreur, sans rancune, avait tranquillement effacé son mari". Emile, à son tour devenu père, devra dire à son fils sa profession ! Peintre sur des tableaux malades. Superbe roman dans la lignée des précédents. Grand écrivain doublé d'un gentilhomme de l'émotion.

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