jeudi 30 juin 2016
A propos de "Meursault, contre-enquête" de Kamel Daoud
On hésite entre colère sourde, exaltation, besoin de justice. Kamel Daoud veut ou va redonner à l'Arabe tué, dans "L'étranger" de Camus une vraie personnalité ?
Eté 42, cinq balles claquent. Un arabe est tué sur une plage déserte d'Algérie. Le meurtrier sera condamné à mort pour d'autres faits, notamment pour avoir mal enterré sa mère
et en avoir parlé avec beaucoup d'indifférence. Le crime est dû au soleil, à la chaleur, à l'oisiveté, à la jalousie, à une vengeance ? Daoud met en scène un homme, Haroun, qui parle à un
universitaire (qui connaissait Meursault) dans un bar d'Oran. Il va lui raconter une partie de sa vie et affirmer qu'il est le frère de l'Arabe tué sur la plage. Il a une mère, lui aussi
avec qui il ne s'entend pas trop bien. Elle veut demander justice pour le meurtre de son fils et du coup en oublie qu'elle a un autre fils, bien vivant celui-là. Haroun a sept ans au moment des faits, alors il va extrapoler,
inventer un assassinat "digne" et redonner chair à ce frère, Moussa, disparu. Il crie haut que lui est vivant : il enrage de ne pouvoir rencontrer l'assassin de son frère.
Roman en miroir du livre de Camus (pourtant jamais nommé). Ce n'est, évidemment pas une suite de l'Etranger mais plutôt un contre-point. Haroun, n'est pas ou peu croyant, ne suit pas les préceptes religieux des musulmans
et va donc mener une guerre personnelle dans un contexte politique au bord de l'explosion. On lui a volé son enfance en même temps que Moussa.
L'écriture est belle, pesante, triste. Journaliste engagé, Daoud met l'accent sur la complexité des héritages du colonialisme et pose clairement la question de l'Algérie d'aujourd'hui : "...tu ne peux pas comprendre ce qu'endure
un vieillard qui ne croit pas en Dieu, qui ne va pas à la mosquée, qui n'attend pas la paradis, qui n'a ni femme ni fils et qui promène sa liberté comme une provocation."
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