lundi 30 novembre 2015

A propos de "Innocent" de Gérard Depardieu

"Passé un certain âge, de toute façon, les enfants n'ont plus besoin de leurs parents. Les parents sont là uniquement pour leur donner de l'amour et uniquement quand ils leur en demandent...C'est pas toujours agréable d'être un innocent...l'innocence, c'est le respect des autres, c'est une vertu" Avec ces quelques mots tirés au hasard dans le dernier ouvrage de Gérard Depardieu, on replace l'humain au centre de ses réflexions. Les siennes, un retour en arrière, pas évident. Un retour sur son passé jamais. Ce qui est fait est fait. Une autobiographie ? Pas le moins du monde. "Avec Jean [Gabin], j’en ai appris des choses... À table, surtout. Moi qui ai toujours goûté à tout et jamais en petite quantité, là, j’étais servi. Ça commençait vers onze heures le matin, et c’était entrée, poisson, gibier, fromage, dessert. Et tout ça arrosé de bourgogne." Excessif, oui et alors. Il est acteur ? Surtout pas, il ne joue pas il fait du cinéma pour éviter de travailler ! Il a fait des "conneries", oui, il assume pleinement. Si vous aimez le personnage de Cyrano, de 1900, des Valseuses, des Misérables etc...alors vous allez adorer ce livre. Somme de pensées, somme de réflexions, somme d'idées. Il n'oblige personne à le suivre - évidemment, mais quel homme attachant, plein d'humanité et surtout plein d'amour pour les autres. A lire dans ces moments douloureux. Étymologiquement, l'innocent c'est celui qui ne nuit pas. C'est déjà bien au-delà que ce que les religions nous montrent aujourd'hui. Il va faire un tour vers ses lectures, il vous promène vers les peintres qu'il apprécie, il vous dira qu'il a été musulman et qu'il a fait du yoga en Chine. Un bonheur de lecture, une énergie communicatrice et surtout une introspection salvatrice. Le cinéma, l'amitié, la politique, les civilisations et surtout l'innocence comme moteur de vie.

dimanche 6 septembre 2015

A propos de 2084, le dernier livre de Boualem Sansal

Le radicalisme religieux qui menace les démocraties, l'impossibilité de ne pas croire, la surveillance par des comités ad hoc, l'obligation du bonheur de croire. Un monde pyramidal mais qui n'existera jamais, l'auteur nous le confirme. Aucune relation avec ce qui pourrait se passer à la vue des divers événements récents ou plus anciens. Sansal insiste, ce n'est que fiction et encore fiction. Dormez sur vos deux oreilles, braves gens, ce livre n'est fait que pour nous divertir. Point. Une fois passé tout cela, on se prend au jeu du roman et on entre dans la peau d'Ati, renégat sans foi (quelle horreur) qui cherche avec nous un hâvre de paix ou un ghetto dans lequel il serait libre, non surveillé, non épié. Bref, ce dont nous rêvons tous ! Avec une maîtrise parfaite du grotesque, de l'humour et de la dérision, Sansal nous prend par les yeux pour un monde à la Orwell (avec son Big Brother de 1984), nous fait frissonner souvent, nous fait rêver rarement et ouf quand on a terminé le livre : non cela ne peut pas arriver, ce n'est que de la fiction. Il nous le dit en permanence. A moins que...mais cela c'est une autre histoire. Grand auteur, très bon livre d'anticipation. Le prophète Abi (délégué de Yölah) convie le pauvre lecteur que nous sommes, à partager son amour du Saint Gkabul, mais avec obligation d'y croire. En brocardant les dérives du radicalisme religieux, Boualem Sansal nous met en garde : La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité.

lundi 3 août 2015

Le livre de Mia Couto, La Confession de la lionne

Nous sommes à Kulumani, localité déshéritée du Mozambique. Pour sauver les villageois - ou plutôt les villageoises, les attaques ne touchant que des femmes des griffes des lions, les autorités font appel à Arcanjo Baleiro, dernier chasseur digne de ce nom - pour lui, les autres ne sont que des "tueurs". N'a-t-il pas, quelques années plus tôt, débarrassé les mêmes lieux d'un dangereux crocodile et, par la même occasion, fait chavirer le coeur de la jeune Mariamar, soeur de la dernière victime des fauves ? Le voici donc de retour, accompagné d'un écrivain, appareil photo en bandoulière et carnet à la main, avide de rendre compte de cette partie de chasse. Beaucoup de mystères dans ce livre. Est-ce vraiment les bêtes sauvages qui sont au coeur des soucis de ces habitants ? Ou plutôt des querelles internes dont les animaux seraient les révélateurs. L'auteur brouille tellement les pistes qu'à certains moments le lecteur ne sait plus s'il est dans la raison ou dans la superstition ! "Dans un monde d'hommes et de chasseurs, les mots furent ma première arme" dira Mariamar. Roman éblouissant, à déguster lentement (quitte à revenir sur certains passages) tellement le texte est fort (traduction excellente). C'est à partir de faits réels vécus par l'auteur que celui-ci a été amené à raconter cette histoire. Mais il y mêle une patte sûre dans la lignée de sa précédente livraison : L'accordeur de silences. A découvrir absolument.

Le dernier d'Erri de Luca

Irène joue avec les dauphins. Elle est des leurs. Elle les libère des filets des pêcheurs. Elle vient "déshameçonner" les anchois ou les morceaux de calamars. Elle est enceinte d'un dauphin ? A terre elle est sourde-muette, dans la mer elle est vivante, fabuleuse, folle, enivrée de vie. Elle raconte son histoire née dans une île grecque. Celui qui écoute l'histoire est un humain ? Est-ce le lecteur qui se fait happer par l'écriture toujours aussi puissante de l'auteur. Toujours une nouvelle courte, toujours cette intimité entre deux êtres, toujours cette proximité avec le sacré, avec l'indicible, avec le surnaturel. Une fois de plus Erri De Luca emporte l'attention. On se laisse prendre, on se laisse embarquer avec ces dauphins qui iront jusqu'à délivrer un tigre ! Irène devra parcourir le monde pour libérer ces magnifiques animaux marins des griffes des aquariums et elle viendra sur le sable de son île raconter à ses "frêres" la beauté du monde. "Naître en mer, c'est passer d'un liquide étroit à un autre, illimité. C'est déboucher d'une ruelle dans l'étendue d'une place" Texte ciselé, épuré mêlant dialogues et pensées intérieures. Un auteur qui n'en finit pas de nous surprendre. A lire d'urgence. Histoire d'Irène - Erri de Luca

A propos du livre de Yann Moix

Roman ou vraie lettre. Un homme (évidemment infidèle puisqu'il est aimé par une femme ou peut-être pas ?) écrit une très longue lettre alarmiste, courageuse, exaltée, ambiguë, à celle qu'il a aimé comme un fou, désirée, trop aimée. Cet homme s'accuse, avoue (il aime bien avouer) qu'il préfère une panoplie de jeunes filles à une liaison finale juste avant de rencontrer la destinataire de cette lettre. Amertume, explication, insolence, extravagance, exaltation, passion. Pour les relations charnelles il préfère que la femme soit là, pour les relations amoureuses, il préfère que la femme ne soit pas présente. L'amour est dévastateur, il meurtrit, il blesse, il grandit l'autre. Et moi dans tout cela, moi l'homme qui est infidèle au long des pages. Moix frappe fort au détour de nos idées. On se prend au jeu de la lecture. Sujet abordé avec une très grande finesse : leçon de vie. On a du mal à prendre sa respiration, on est obligé d'aller au bout de la lecture tellement l'écriture est vive, haletante comme rédigée dans l'urgence. Il profite du décalage horaire entre New York et Paris pour se donner le temps de cette écriture. L'amour est un grand sac duquel on voudrait sortir des choses inépuisables, des certitudes, des lendemains qui chantent, des projets concrets. Auto flagellation parfois. Performance littéraire à laquelle nombre de lecteurs seront sûrement sensibles. Homme ou femme, bien sûr. Une simple lettre d'amour - Yann Moix

A propos du livre de Zoé Valdès, La femme qui pleure

"Regardez, comme elle pleure pour moi". Par ces mots Picasso exprime dégoût et admiration pour la personne qui partagea 10 ans de sa vie : Dora Maar. Elle va croiser la route du peintre pour son bonheur/malheur. À ses côtés, elle va incarner la Femme qui pleure ; ce célèbre portrait qui témoigne de sa déconstruction dans l'ombre du génie auquel elle avait voué sa vie. Elle-même photographe et peintre surréaliste. Elle fréquentera Max Jacob, Paul Eluard, Georges Bataille...Mais c'est auprès du "Génie du XX° siècle" qu'elle veut à tout prix (le mot n'est pas usurpé) vivre. Il sera un bourreau (au cou de taureau), elle sera victime presque consentante. Il ne pourra se passer d'elle. Elle sera dans son sillage en permanence. Est-ce elle qui aurait inspiré à Pablo le chef d’œuvre de Guernica ? Elle finira par être chassée du cercle des intimes de l'artiste. Elle ne s'en remettra jamais. Dora Maar, quelques années après sa rupture avec Picasso, décide de passer quelques jours à Venise avec deux amis : James et Bernard. Elle veut se remémorer les "bons moments" - mais que sont-ils à nos yeux ? Dans le dédale des rues de la cité des Doges, Dora, muse abandonnée, artiste inaccomplie, retrouvera-t-elle le chemin de sa vie de femme ? À l'issue de cet ultime voyage, elle se retirera du monde pour vivre mystique et recluse dans son appartement parisien. Le temps d'une escapade vénitienne, Zoé Valdés se glisse dans l'âme tourmentée de Dora Maar, cette femme capable de tout par amour, et nous livre un roman ardent et subtil sur la passion amoureuse sans limite.

A propos du livre de Sorj Chalandon, Profession du père

On ne lâche pas 320 pages de Chalandon. On ressent cet Emile, le fils a l'enfance bousculée ("tu me dégoûtes, avait vomi mon père, un jour de mauvaises notes") . Frappé, puni, Emile s'invente une vie avec les bribes de délires de son père. Il va tuer De Gaulle, il va faire partie de l'OAS, il a un parrain américain, il a sa mère effacée (épluche les carottes et prépare la soupe du soir). Comment se construire dans un monde de violence verbale et physique. Le roman est haletant, le style incisif, la phrase courte, les événements s'enchainent, s'entrecroisent et tissent un texte superbe. Dans cette famille, le sentiment n'existe pas (la vieille en parlant de sa femme, conneau en parlant de son fils, connards en parlant des journalistes, imbéciles en parlant des politiques, tarés en parlant des gens). Le père est omniprésent au long de ces pages, le fils raconte ce qu'il voit et ce qu'il endure. Mais au fait, quelle est la profession du père ? Il admire Salan, Jouhaud, Zeller, il se dit compagnon de De Gaulle puis ennemi juré du grand homme. Il va délirer jusqu'à sa mort dans une brume de vengeance "clouée" dans son dos ! Il n'aura peur de rien sauf du canon du pistolet qu'un jour Emile lui plante devant le nez. Ce père laissera un testament sur une bande magnétique, à écouter après sa mort. Sa femme a-t-elle écouté ? Oui, mais en croyant rembobiner la cassette : "ma mère, rescapée sans colère, sans aigreur, sans rancune, avait tranquillement effacé son mari". Emile, à son tour devenu père, devra dire à son fils sa profession ! Peintre sur des tableaux malades. Superbe roman dans la lignée des précédents. Grand écrivain doublé d'un gentilhomme de l'émotion.

A propos du livre d'Anthony Doerr

Éblouissant, captivant, envoûtant. Les qualificatifs manquent pour évoquer ce superbe roman. Deux destins tellement éloignés l'un de l'autre. Une jeune française aveugle réfugiée avec son père à Saint Malo, pendant la seconde guerre mondiale. Un jeune allemand, orphelin, génie de la transmission radio, utilisé par l'armée pour briser la résistance. Marie-Laure doit vivre avec sa condition de non voyante (elle compte les plaques d'égout, elle repère les bruits, elle lit Jules Verne). Son père construira une maquette de la ville pour que sa fille s'y retrouve plus facilement (objet qui sera le fil rouge du roman). Werner se passionne pour le "bidouillage" radio et sera enrôlé (malgré lui). Ennemis sans le vouloir, du plus lointain de leur solitude, ils vont un jour se croiser pour s'aider l'un l'autre. L'auteur nous entraîne, avec une maîtrise de la langue extraordinaire (phrase sans verbe, incise, économie de dialogues, poésie) dans une réflexion sur la condition humaine de deux adolescents pris dans les tourmentes de la guerre. Quelle est cette lumière ? Est-ce le diamant qui brille au fond de la poche de Marie-Laure, est-ce la vacuité guerrière que rejette Werner ? On est dans Saint Malo, on est dans le camion de transmission. Le lecteur s'identifie aux deux personnages en même temps. A. Doerr nous bouleverse et nous prend par le cœur à travers un des plus beaux romans de ces dernières années. Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony Doerr

samedi 14 février 2015

A propos de Blue book

Pour ceux qui connaissent la Namibie ou qui vont partir vers ce merveilleux pays, il faut avoir lu le récit qui vient de sortir chez Calmann-Lévy d'Elise Fontenaille-N'Diaye. Alors qu'elle est à la recherche de documents sur l'histoire du grand-père de son père, officier colonial, l'auteure se demande (par le hasard d'un photographie de sa famille prise à Mayence en Rhénanie) si l'Allemagne avait possédé des colonies ! Elle tombe, encore par hasard, sur un document rédigé en 1917 par Thomas O'Reilly, jeune juge, à qui la Grande-Bretagne avait demandé un rapport sur les atrocités commises par les Allemands en Namibie en 1904. Ce juge a récolté durant 2 ans les témoignages des quelques survivants des massacres perpétrés par un certain Von Trotha sur des populations, qui là aussi, ne demandaient rien à personne sauf de vivre en paix ! Un génocide en prélude à des atrocités futures. On a la gorge nouée à la lecture de ces pages, on ne veut pas y croire et on se demande comment un être humain peut avoir cette conscience de détruire avec détermination et précision un peuple entier.
Entre le plateau de Waterberg, le désert du Kalahari, au large de Lüderitz, on ne peut s'empêcher de penser qu'en foulant ces terres improbables, des milliers de cadavres jonchèrent le sol sur la seule volonté de celui qu'on appelait "le requin" "l'exterminateur".